Nous nous étions inscrits tard à l’école et on ne pouvait plus trouver de logement. Nous avions fourré nos huit valises et neuf bagages à main dans la Citroën, achetée dès notre arrivée, et le moral des troupes déclinait à chaque fois que nous nous entassions dans l’habitacle. Il fallait absolument trouver un lieu de stockage. Mais on n’en trouva pas. Nous dûmes déménager de gîte en gîte huit fois en trois mois. Les locations d’été avaient lieu dans des anciennes étables, granges de battage et autres bâtiments inutilisés et nous déménagions selon les disponibilités. L’un de ces bâtiments datait de Jeanne d’Arc ; c’est du moins ce qu’annonçait la plaque sur le mur. Tours avait une place publique datant du quinzième siècle, pleine de tables occupées par des Français, la cigarette au bec et par des étrangers qui enseignaient à l’école de langues. Cette école était la fierté de la ville qui s’enorgueillissait d’avoir l’accent le plus pur de toute la France. Nous passions des heures à étudier en buvant du café, assis aux obligatoires tables blanches dispersées à travers la place. Puis, nous retournâmes à Montauban, prêts pour le ministère. Quelques membres de l’église avaient trouvé pour nous une location qu’ils pensaient être une maison vraiment adéquate pour des Américains. Elle était remarquablement bien située, entre la charmante petite ville de Montauban et Toulouse, la métropole. C’était une maison originale, à deux étages et pourvue d’un balcon surplombant une vallée. Elle comportait quatre chambres et deux salles de bain. Une véranda parcourait les trois côtés de cette maison assez récente et il y avait six fenêtres en forme d’arche donnant sur une chambre de couple, un salon et une salle à manger. Un papier mural façon velours rouge recouvrait toutes les parois du salon et de la salle à manger qui contenait de lourds meuble italiens, dont une table longue et massive et des chaises. Nous recevions souvent et nous nous liions d’amitié avec les membres de notre nouvelle église. John avait pris en charge la cuisine et moi la prédication.
Je comprenais maintenant pourquoi il détestait tellement ma cuisine. Une semaine, il nous faisait des sandwiches au steak avec de la salade pendant cinq soirs de suite. La semaine suivante, nous avions droit à des pizzas pendant sept autres soirées. Il haïssait la variété. Moi, j’expérimentais, je changeais tout le temps de recettes. Lui était un cuisinier très routinier. Mais j’appréciais son engagement persévérant à faire la cuisine. Un jour, alors que je marchais vers la boulangerie, il est tombé sur moi, dans mon esprit, comme venu du ciel, un amour pour les Français. Ce fut comme une grosse masse de plumes. Tout d’un coup, floc, c’était là. L’instant d’avant, je les supportais à peine et puis voilà que je les trouvais les gens les plus doux et les plus gracieux du monde. Depuis, cet amour a été plus d’une fois mis à l’épreuve, mais il a tenu bon. Et le plus fort, c’est qu’ils semblent m’aimer aussi. JJ s’est inscrit en fac de droit et tous les jours il allait à Toulouse dans une Renault couleur turquoise, très gourmande en essence, qui lui mangea toutes ses économies. Il voulait travailler à évangéliser les jeunes dans le Café bar de l’église, mais voici ce qui arriva : à un camp de famille, près de la petite ville de Saverdun, il avait un soir attiré une jeune fille sur ses genoux ; et les anciens avaient réagi en lui interdisant de faire partie des responsables. Aussitôt, j’avais demandé à rencontrer ces anciens. Ce soir-là, au travers du pasteur qui me traduisait, je leur tins à peu près ce langage : –Je comprends bien que vous soyez contrariés de ce que JJ ait attrapé une adolescente par le bras et l’ait prise sur ses genoux. Il y eut des froncements de sourcils et des hochements de tête autour de la table. –Mais JJ m’assure, poursuivis-je, qu’il n’avait aucune intention sexuelle en faisant cela. En fait, il plaisantait, tout simplement, à la façon des jeunes, chez nous en Californie ; il faisait l’andouille. L’un des anciens prit la parole. –Mais ici, JJ n’est pas en Californie. Il est en France et les chrétiens français ne se comportent pas ainsi. –La France a un arrière-plan très sexuel, expliqua un autre. Ici, tout est orienté vers le sexe. En tant que chrétiens, nous essayons de montrer à la société, par notre exemple, que ce n’est pas ainsi que la Bible nous enseigne à vivre. Je fis de mon mieux pour le rassurer. –Je vais expliquer ça à JJ et je suis sûre qu’il adaptera son attitude à ce que vous désirez. Mais je voudrais que vous compreniez qu’il n’a pas fait exprès de vous offenser. Il désire réellement travailler dans le café bar. À ce moment-là, le pasteur a posé sa main sur mon bras, un geste d’apaisement assez inhabituel pour un Français. –Nous comprenons bien votre souffrance de mère et nous sympathisons avec vous. Nous reconnaissons que vous êtes une vraie femme de Dieu et nous sommes reconnaissants de vous avoir avec nous. Mais si nous permettions à JJ de travailler dans le Café bar après cet incident, ce serait comme si nous faisions une exception pour lui. Nous avons décidé qu’il devait se tenir à l’écart pendant un an pour montrer à la communauté que sa conduite a changé. Ce soir-là, je suis revenue à la maison en me posant beaucoup de questions sur la stratégie de Dieu. JJ était puni à propos d’un tout petit incident, mais John, lui, s’en sortait sans être inquiété le moins du monde ! Où était la justice là-dedans ? Il semblait vraiment y avoir deux poids, deux mesures. Lorsque j’eus garé la voiture et arrêté le moteur, je cessai de me plaindre à Dieu et, dans le calme de cette nuit, je l’entendis me dire : « Fais-moi confiance ». JJ trouva à l’université un groupe de chrétiens qui se réunissaient à Toulouse et il passa de plus en plus de temps en leur compagnie. Jo restait à la maison. J’étais stupéfaite de voir à quel point la communauté lui faisait bon accueil ; pourtant, elle les tenait à distance. Elle choisissait la solitude et y prospérait. Les terres vallonnées autour de notre maison offraient de nombreux sentiers de balade. Tous les jours, Jo parcourait l’un d’eux en emmenant soit John, soit moi avec elle. Nous sommes restés dans cette communauté, comme prévu, pendant un peu plus d’un an. Nous apportions notre aide dans un groupe de maison et allions à Paris chaque mois pour rencontrer les membres du comité. Les chrétiens sont peu nombreux en France : selon les sondages, moins d’un demi pour cent sont nés de nouveau. Notre présence dans le pays fut largement diffusée, l’information circulant vite au sein d’un groupe aussi restreint. Pour une raison ou pour une autre, nous étions invités partout. Nous voyagions à travers le pays pour prendre contact avec des personnes impliquées dans la production vidéo et ayant la vision d’une future télévision chrétienne. Le jour où j’ai posé le pied sur l’aéroport Charles De Gaulle, le Seigneur m’a parlé : « Ceci est ma verte vallée. C’est ici que je veux voir la construction d’un centre médiatique ». Tant de gens bien intentionnés sont venus nous voir et toujours avec de bons conseils ! Un jour, un pasteur nous a fait asseoir et, se tournant vers mon mari, lui a dit : –John, il n’y a rien de mal à avoir une femme de caractère, mais tu dois être celui qui prêche, celui qui est le plus fort et qui dirige ! Marty doit marcher dans ton sillage. Je voulais plaire à Dieu ; je ne voulais pas être une femme arrogante. Alors, j’ai fait tout ce que je pouvais pour assurer la promotion de John. Quand nous exercions le ministère, nous le faisions d’une façon qui semblait beaucoup plaire aux Français et qui plaçait toujours John sur le devant de la scène. Nous choisissions un sujet et John parlait pendant dix minutes ou plus ; puis j’occupais la scène pendant à peu près la même durée. Ensuite, John parlait à nouveau et je dirigeais le temps de ministère en imposant les mains sur les gens pour leur transmettre la bénédiction de Dieu. J’écrivais la partie de John et soulignais la mienne, et le ministère se déroulait ainsi, ‘spontanément’. John ne préparait ni n’écrivait ses sermons ; je devais le faire à sa place. Il ne me venait pas à la pensée de me demander comment John occupait son temps en France, mais je savais qu’il ne se préparait pas au ministère. Un autre pasteur est venu nous voir ; il avait fait douze heures de route pour délivrer son message. « Le Seigneur m’a parlé, il m’a demandé de venir te dire, John, que tu dois être le pasteur d’une église. C’est pour cela qu’il t’a appelé en France. » Pour moi, ce n’était pas une bonne nouvelle, mais pour John, c’était une excellente idée, et nous sommes retournés à Tours. Six longues heures de route entre nous et la merveilleuse communauté que nous aimions ! Le jeune homme nous avertit de ne pas y aller, ajoutant que John avait une onction d’administrateur, pas de pasteur, mais John ne l’écouta pas. Moi j’avais bien compris, mais ensuite je me suis réprimandée, pensant que c’était mon orgueil qui m’incitait toujours à croire que j’étais celle qui était appelée. Du coup, j’ai étouffé la voix en moi qui s’accordait avec le jeune homme et j’ai accepté d’entrer dans la vision de John. Ce déménagement fut, pour moi, pathétique car JJ et Jo retournaient en Oklahoma et c’était comme si notre famille allait se détricoter. Le jour même où je perdis mon nid, j’entrai dans le ‘syndrome du vide’. Nous avons abandonné notre grande maison italienne, entreposé nos affaires dans une grange et nous avons amené JJ à son avion à Toulouse, où il devait aller dire adieu à ses amis. Puis, nous avons roulé jusqu’à Nice pour passer une semaine avec Jo avant qu’elle ne s’envole pour les States. Je suis partie avec elle pour l’aider à faire son inscription à la cité universitaire en Oklahoma et chercher un appartement pour JJ afin qu’il puisse étudier à Rhema. Pendant ce temps, John passait du bon temps avec ses amis et se dorlotait sur la plage en attendant mon retour. Après avoir installé mes enfants, je suis revenue à Nice, j’ai pris, moi aussi, une semaine de repos sur la plage, puis nous sommes montés à Tours. Quand nous avons récupéré nos affaires dans la grange, je me suis aperçu qu’il manquait une petite pièce appartenant à l’écran de télévision. Je l’ai cherchée partout, mais de la nourriture avait été répandue sur nos affaires et c’était mission impossible. À ce moment, le Seigneur a parlé à mon esprit : « Elle n’est pas là ; tu vas la trouver dehors ». Je suis sortie et j’ai marché sur le chemin de terre autour de la grange. Je me sentais stupide : qui pourrait trouver une si petite chose noire au milieu de cette vaste étendue ? Et soudain, je l’ai vue, à mes pieds, enfoncée dans la trace des pneus sur le chemin. Émerveillée, je l’ai ramassée. Si Dieu peut faire une toute petite chose comme ça pour moi, me suis-je dit, Il peut faire n’importe quoi ! Du coup, je suis montée vers le nord avec l’impression de pouvoir conquérir le monde ! Nous avons emménagé dans une ancienne grange nichée sous des arbres entourant le château de Villandry et ses fameux jardins sculptés. Les hommes d’affaires du Plein Évangile venaient d’ouvrir un chapitre à Tours et nous avons assisté tout de suite à un petit-déjeuner pour rencontrer les gens et faire connaissance avec cette communauté. À notre table, divinement envoyé vers nous, il y avait Thierry, génial autodidacte qui avait appris l’anglais tout seul en écoutant de la country music. Il parlait parfaitement avec un accent chantant de Nashville. Thierry est devenu notre traducteur et notre ami. Au début, il avait un petit problème d’alcool. Pendant trois mois, il a assisté à nos études bibliques dans un état d’ébriété. Mais nous avons persévéré car il était le seul participant ! Puis, l’un après l’autre, les gens nous ont trouvés et ont frappé timidement à notre porte. Thierry a cessé de boire, nous avons grandi et notre petite église est devenue florissante. Après avoir besogné pendant un an et demi, nous nous sommes retrouvés à trente-cinq. Quand il devint évident que nous allions vraiment devenir une église, j’ai supplié John de me laisser être co-pasteur, pour que nous puissions travailler ensemble. Je me souviens d’avoir été assise à la table en train de préparer un sermon ; lui était à l’autre bout de la pièce, tout recroquevillé sur une chaise à cause du froid, car notre ‘grange’ était particulièrement mal isolée. –John, s’il te plaît, nous avons là une occasion en or pour former une équipe du tonnerre. Laisse-moi être ton assistante pasteur. –Je pense qu’il doit y avoir un seul pasteur, répliqua-t-il. –Mais nous fonctionnons déjà un peu comme une équipe. –Non, ça n’irait pas. Les gens ont besoin de moi. –Pourquoi dis-tu ça ? lui dis-je. Je me demandais franchement ce qu’il pensait bien pouvoir leur offrir. Froid et distant, John ne priait pas pour les gens, il ne les conseillait pas et ne se liait pas avec eux. En réalité, pour être honnête, il se contentait de me suivre. –Parce que je suis un homme, reprit-il. J’avais beau réfléchir, je ne trouvais rien à rétorquer. –Est-ce que c’est ton dernier mot sur cette situation, lui demandai-je calmement ? Il me regarda comme si j’étais une abrutie, en hochant la tête pour dire oui, presque imperceptiblement. –Je sais ce qui va se passer lui dis-je, accusatrice. Je vais faire tout le travail et toi tu récolteras toute la gloire ! Ma voix se brisa. J’étais au bord des larmes. Il fit ‘oui’ de la tête plus vigoureusement et je sentis comme une faible lueur de compassion. C’est comme ça. J’avais prophétisé exactement mon avenir. Pendant notre séjour à Tours, je cessai de rechercher l’unité que j’avais tant désirée depuis le début de notre mariage. Nous avons fondé une église dont il était le pasteur, mais c’était moi qui écrivais les sermons qu’il prêchait. Si quelqu’un demandait le ministère après la prédication, John me faisait venir. J’étais, en réalité, le pasteur, mais j’opérais en coulisse. Je faisais les marches de prière, je conseillais, je répondais même au téléphone avec mon français écorché. Les résultats étaient magnifiques. Nous avions un groupe fabuleux. Les gens, quoique dispersés dans toute la région, nous avaient trouvés et ils avaient fait de nous leur église de cœur. Cécile, notre aide si consacrée, avait été toute sa vie nonne et professeur de français. Maintenant retraitée, elle prenait le train depuis Châtellerault pour nous rejoindre plusieurs fois par semaine et elle traduisait les prédications. Elle est devenue, elle aussi, une amie très chère. Nous avons commencé une étude biblique dans son salon et cela est devenu une autre église. Nous faisions une étude biblique au Mans. Les gens venaient de là pour le culte du dimanche matin et nous allions vers eux pendant la semaine, ou en tout cas, moi j’y allais. Je ne sais pas ce qu’ils ont pu apprendre, sachant que mon français n’était guère que du méli-mélo. Cela a continué pendant un an et demi jusqu’à ce que je finisse par renoncer. Le poids du ministère, plus le stress causé par la supercherie, était devenu un fardeau trop lourd pour moi. J’ai donc tout simplement arrêté. Que John écrive lui-même ses prédications. Qu’il cherche Dieu pour recevoir sa propre onction. Si quelqu’un avait besoin de prière, qu’il s’en occupe. Quant à moi, j’étais ‘out’. L’ennemi avait refait surface après l’école biblique et ça m’était devenu insupportable. Cela m’étranglait littéralement. Vers qui me tourner ? Certainement pas vers mon mari, toujours à la traîne, et qui offrait un terrain propice à l’ennemi. Quant à mes enfants, ils ne savaient même pas que l’ennemi existait. Il n’y avait personne. J’avais couvert le mensonge de John pendant ces années d’abrutissement, pendant toutes ces nombreuses années . . . Traduit par François Chaumont
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Marty
Delmon Écrivaine
Évangéliste Enseignante Écrire était profondément inscrit dans mes gènes si je peux parler ainsi. Mais quand j’ai donné ma vie à Jésus, Il m’a dit qu’Il m’avait créé pour écrire toutes mes aventures spirituelles et j’ai commencé à le faire. Après tout, si Dieu tout puissant me faisait com- prendre que son projet sur moi c’était d’être son écrivain, qui suis-je pour discuter son plan ?
Mon espérance, c’est vous n’aimiez pas seulement ce que j’écris mais que mes mots changent votre vie. Qu’ils vous mettent en route vers Jésus et avec Jésus. Que vos jours avec Lui sur cette terre, ressemblent au ciel. Archives
October 2018
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